Moment clé : l’exil, la satire et la naissance d’une iconographie unique
Le parcours d’Antonio Seguí est marqué très tôt par une curiosité profonde pour l’Europe et ses cultures visuelles. À seulement dix-sept ans, il se rend à Paris pour étudier aux Beaux-Arts et découvre les caricatures d’Honoré Daumier, dont l’influence sur son œuvre sera durable. L’année suivante à Madrid, il étudie à l’Académie royale de San Fernando, où son travail s’oriente d’abord vers l’abstraction. Mais en 1959, un voyage en Amérique latine transforme radicalement son regard. Au Mexique, les rencontres avec Diego Rivera et José Clemente Orozco l’amènent à renouer avec la figuration, qui deviendra dès lors le cœur de sa démarche.
À partir des années 1960, Antonio Seguí développe un univers visuel foisonnant où l’absurde, la fantaisie et la satire s’entremêlent. Ses personnages récurrents — petits hommes chapeautés, silhouettes en mouvement, figures dédoublées — incarnent une humanité traversée par l’ironie, la confusion et la quête permanente d’une place dans le monde. Ces individus, inspirés des rues de Córdoba comme de l’agitation des grandes villes, deviennent les protagonistes d’un théâtre urbain où se croisent solitude, humour et poésie visuelle.
L’exil forcé durant la dictature argentine renforce encore cette sensibilité. Privé de passeport entre 1976 et 1983, Seguí reste en France, où son atelier d’Arcueil devient un refuge pour de nombreux artistes. Cette période, marquée par la violence politique et la distance avec son pays d’origine, nourrit une œuvre où le grotesque se mêle à la gravité, où l’humour masque souvent une critique sociale ardente. Ses tableaux deviennent alors un espace de résistance douce, une manière de dire ce qui ne pouvait être dit autrement.
Dans son travail, le déplacement — qu’il soit géographique, politique ou intérieur — devient une métaphore centrale. Ses personnages semblent toujours en route, perdus dans des rues labyrinthiques, comme s’ils cherchaient une direction dans un monde mouvant et incertain. Cette gestuelle, répétée de toile en toile, traduit l’instabilité de l’existence moderne, mais aussi la fantaisie et la liberté qui surgissent du chaos.